La fracture numérique, notion qui recouvre les inégalités en matière d’usage et d’accès aux technologies numériques, touche, en France, près de 13 millions de personnes. Les personnes réfugiées en sont très souvent victimes, au détriment de leurs multiples démarches, administratives et autres.

 

L’amélioration de l’accès au matériel numérique et à une bonne connexion ainsi que la montée en compétences informatiques constituent donc des enjeux forts pour améliorer le processus d’intégration de ce public, qui présente par ailleurs des spécificités à connaître pour une meilleure médiation.

Ce guide de bonnes pratiques, destiné à tous les acteurs de la médiation numérique au bénéfice des réfugiés, a été réalisé en collaboration avec la Direction de l’intégration et de l’accès à la nationalité (DIAN) du ministère de l’Intérieur et la MedNum, la coopérative nationale des acteurs de la médiation numérique, en lien avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Il s’appuie notamment sur l’enquête sur les usages numériques des personnes réfugiées publiée par la DIAIR (avril 2021) et les retours d’expériences de l’appel à projets national de lutte contre la fracture numérique des personnes réfugiées lancé à la fin de l’année 2020.

 

Mieux connaître le public des bénéficiaires d’une protection internationale

 

Qu’est ce que l’asile ? (cf. le guide du demandeur d’asile)

Il s’agit de l’octroi d’une protection par un État à un étranger. Le statut de réfugié est accordé sur 3 fondements :

  • La convention de Genève relative au statut de réfugiés du 28 juillet 1951, aux termes de laquelle le statut est délivré à « toute personne qui […] craignant avec raison d’être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » ;
  • L’asile dit « constitutionnel » tiré de l’alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946, accordé à « toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté » ;
  • La reconnaissance par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR).

Lorsqu’une personne demande l’asile en France, son dossier est examiné par une autorité de protection : l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en première instance voire la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en appel. En cas de réponse positive à leur demande, les réfugiés bénéficient d’unecarte de résident valable 10 ans (renouvelable).

Outre le statut de réfugié, les autorités de protection peuvent aussi accorder la protection subsidiaire. Elle est attribuée à l’étranger qui ne remplit pas les conditions d’obtention du statut de réfugié mais qui justifie qu’il est exposé dans son pays à la peine de mort, à des actes de tortures ou encore à des menaces graves contre sa vie ou sa personne. Ces personnes se voient délivrer une carte de séjour temporaire valable 4 ans (renouvelable), portant la mention « vie privée et
familiale ».

Les bénéficiaires d’une protection internationale (BPI) sont l’ensemble des personnes qui se sont vu accorder une protection suite à leur demande d’asile : statut de réfugié ou protection subsidiaire.

En France, 137 665 personnes ont demandé l’asile en 2019 (93 200 en 2020 avec la crise épidémique) ; le nombre total d’accords de protection (OFPRA et CNDA) a été de 36 275 (24 181 en 2020).

Le parcours d’intégration des BPI présente de nombreuses spécificités (outre l’importance de l’acquisition du français et les problématiques interculturelles comme pour d’autres primo-arrivants, d’éventuels psycho-traumatismes, etc.).

 

Les usages numériques et l’équipement des personnes réfugiées

 

Une utilisation quotidienne, principalement à des fins de communication, marquée par l’importance des réseaux sociaux

Environ 80 % des personnes réfugiées interrogées par la Diair déclarent utiliser internet tous les jours. Elles se connectent principalement pour contacter leurs proches via des applications de messagerie instantanée (Whatsapp, Facebook Messenger, Telegram). Elles sont aussi 80 % à déclarer que la communication est l’une des activités qui leur prend le plus de temps sur leur portable ou ordinateur, devant les divertissements.

Les réseaux sociaux et ressources collaboratives arrivent en première place pour l’information ou le divertissement (par Whatsapp, des groupes Facebook, YouTube ou des forums internet). Seulement un tiers des personnes interrogées utilise des sites officiels ou spécialisés, tels que les sites de l’administration.

 

Le smartphone, équipement de prédilection

Environ 90 % des réfugiés interrogés possèdent un smartphone, tandis que moins de la moitié possède un ordinateur. Par ailleurs, 75 % déclarent préférer naviguer sur un smartphone plutôt que sur un ordinateur. L’utilisation d’un clavier français, de la souris ou des navigateurs internet pose souvent des difficultés. Le manque de moyens financiers, l’âge moyen et le niveau d’étude semblent constituer des freins à l’accès au matériel informatique.

 

Une connexion qui dépend de l’accès à un compte courant et de l’hébergement

Les personnes réfugiées interrogées se connectent essentiellement en 3G/4G limité, avec du wifi privé ou via des recharges mobiles type Lyca/Lebara. Les ressources financières, l’accès àun compte courant et le contexte d’hébergement semblent avoir un impact sur le type et la fréquence de connexion.

En effet, l’accès à un compte courant n’est possible qu’après la reconnaissance du statut de BPI, ce qui conditionne l’accès à des offres moins onéreuses, uniquement disponibles par prélèvement bancaire. Et seul un quart environ des réfugiés interrogés résidant en centre provisoire d’hébergement (CPH) déclarent se connecter via wifi privé, peu de centres d’hébergement disposant d’un réseau wifi, que ce soit en foyers ou en logements diffus.

 

Un changement d’usages et d’équipement à l’arrivée en France

Les usages numériques des personnes réfugiées évoluent durant leurs parcours d’intégration. De nouveaux usages, par exemple l’utilisation d’ordinateur de bureau, apparaissent avec l’obtention d’une protection, notamment pour trouver un emploi et faire des démarches administratives le plus souvent dématérialisées. Ainsi, deux tiers des répondants déclarent utiliser internet beaucoup plus souvent depuis leur arrivée en France et 40 % utilisent de nouvelles applications.

 

Partir des besoins des bénéficiaires

Pour un accompagnement numérique adapté, il semble essentiel de partir, outre du niveau en langue, des besoins concrets des bénéficiaires et de ses usages numériques afin de trouver le matériel idéal pour y répondre.

Il importe de leur expliquer l’intérêt de chaque équipement (ex : privilégier un ordinateur pour la création d’un CV) et leur complémentarité au regard des besoins.

De même, il apparaît préférable d’adapter le moyen de connexion aux besoins. Un usage à des fins de communication ne nécessitera pas le même équipement en connexion qu’un usage professionnel.

 

Sensibiliser aux enjeux de sécurité

Il apparaît nécessaire de sensibiliser rapidement les bénéficiaires d’une protection internationale sur les nombreux enjeux de sécurité liés à l’usage d’internet : mots de passe sécurisés, historique de navigation, navigation privée, données personnelles, messages frauduleux, etc.

Il importe aussi d’évoquer l’importance de contrôler son exposition en ligne et son « profil numérique », pour des raisons de sécurité mais aussi dans un contexte de recherche d’emploi.

On pourra enfin recommander aux bénéficiaires l’utilisation de coffre-fort numérique, comme celui proposé par Reconnect, pour conserver en sécurité tous les documents importants.

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Les enjeux de la médiation numérique en faveur des réfugiés

 

L’obstacle de la non-maîtrise du français

La barrière de la langue est l’une des principales difficultés des réfigiés dans leur apprentissage du numérique. Les aidants interrogés sont 87 % à déclarer qu’elle est le premier élément bloquant dans leurs démarches. Face à des sites en français (dont la plupart des sites administratifs), 65 % des bénéficiaires d’une protection internationale ont recours à un site de traduction. Près de la moitié demandent ensuite de l’aide à un proche. En plus de la compréhension de la langue de l’administration française, les réfugiés doivent apprendre aussi tout le vocabulaire spécifique lié à l’utilisation du numérique.

 

Recommandations

 

  • Privilégier des parcours de formation avec des ateliers mixant le vocabulaire français commun et les mots du numérique
  • Favoriser l’utilisation de supports pédagogiques traduits en différentes langues et/ou facile à lire et à comprendre (en plus de l’utilisation de pictogrammes, d’illustrations, etc.)
  • Ne pas conditionner une formation numérique à un niveau de langue minimum

 

Des compétences en informatique limitées

Un quart des aidants déclare des difficultés issues d’un manque de compréhension par les personnes réfugiées des mécanismes de navigation simples sur ordinateur : création de compte, rafraichissement d’une page web ou utilisation de filtres lors d’une recherche par exemple. La gestion des comptes (multiplication des adresses électroniques) et de leurs mots de passe est également un obstacle souvent évoqué par les personnes réfugiées et leurs aidants. Les personnes réfugiées ont régulièrement peur de se tromper et beaucoup préfèrent laisser les travailleurs sociaux se charger à leur place de leurs démarches en ligne. Cette situation accentue leur dépendance et un sentiment d’incompétence pouvant les dissuader d’utiliser internet.

Un diagnostic de leur niveau est conseillé, par exemple avec : Lesbonsclics.fr, un outil de diagnostic pour maîtriser les bases du numérique ou encore Pix.gouv.fr, un outil pour mesurer et se former aux compétences du numérique.

 

Une faible disponibilité en journée

Aux obstacles cités s’ajoute une faible disponibilité du public réfugié souvent occupé en journée (formations diverses, programmes d’insertion, démarches administratives, etc.).Mais ces contraintes d’agenda n’entament pas le désir de formation des bénéficiaires : 83 % des réfugiés déclarent vouloir se former à l’informatique, principalement pour accéder à des formations professionnelles et faciliter la réalisation des démarches administratives.

D’où l’importance d’un cursus de formation au numérique flexible et adaptable aux contraintes des bénéficiaires.

 

L’importance accrue de la médiation numérique autre que celle des travailleurs sociaux

Avec les confinements, le recours accru au télétravail et la dématérialisation des démarches administratives, il devient capital de favoriser l’autonomisation numérique des personnes réfugiées.

Celles-ci insistent sur l’enjeu d’un accompagnement autre que celui des travailleurs sociaux, déjà très pris par leur mission, d’où le rôle essentiel, outre des conseillers numériques, des aidants, des bénévoles ou encore des volontaires en service civique.

 

Recommandations

 

  • Associer des ateliers collectifs pour créer des synergies dans l’apprentissage à des formations individuelles pour s’adapter aux niveaux/profils
  • Construire la confiance dans le groupe, en apprenant à se connaître, préalablement à l’apprentissage
  • Privilégier l’usage de supports pédagogiques simples, variés et traduits
  • Sensibiliser les apprenants aux codes socio-culturels français, notamment concernant l’administration
  • Favoriser la posture de « faire avec » plutôt que « faire à la place de »
  • Encourager l’entraide et la pair-aidance
  • Penser des parcours d’inclusion mixant les types d’activités (orales/écrites, en groupe/individuel, participatif/observation)

 

 

Alice MUGNIER
Cheffe de projet inclusion numérique

Délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (Diair)