A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes du 8 mars, la Diair met en lumière les parcours d’intégration de femmes réfugiées en France. 8 portraits de 8 femmes venant d’horizons variés sont publiés, pour valoriser la vie qu’elles se sont construites en France, les liens tissés, et la résilience dont elles font preuve.
Le timbre de voix de Manal est grave, son débit légèrement langoureux, mais il s’envole régulièrement vers des sommets rieurs. Manal est l’alliage du sérieux et du léger, qu’elle fait alterner sur à peu près tous les sujets.
Professeure d’anglais en Syrie, ses facilités en langues sont évidentes et sa maîtrise du français, qu’elle ne parlait pourtant pas à son arrivée en France, fin 2015, est impressionnante.
Réfugiée en Jordanie après avoir quitté la Syrie, elle atterrit à Charles de Gaulle un beau jour de l’hiver 2015 après une mission foraine de l’OFPRA. Elle s’estime très bien accueillie par des membres de l’association Coallia, qui la conduisent dans son nouvel appartement, à Beauvais, où elle réside encore aujourd’hui.
« En France, on peut toujours se réinventer »
Son premier projet d’intégration est de retrouver le professorat, mais, pour intégrer l’Education Nationale, elle se heurte à l’obstacle de la nationalité française. Refusant pour autant de tourner le dos à sa vocation, elle bifurque vers la formation pour adultes. Après une préparation longue et exigeante, qu’elle concilie avec trois enfants et une situation de confinement, elle décroche le titre de formatrice et se voit félicitée par un jury visiblement impressionné par sa prestation. « Ça a été une victoire pour moi », déclare-t-elle. « En France, on peut toujours se réinventer : une de mes collègues avait 59 ans lors de la formation et commençait une nouvelle carrière ! ». Ce dynamisme lui convient particulièrement, elle pour qui « rester à la maison sans rien faire, c’est mourir ».
Elle continue à avancer en préparant son projet de micro entreprise (Trois langues avec Manal) et en apprenant le code de la route, pour ne jamais stagner.
Lorsqu’on l’interroge sur la scolarité de ses enfants, elle s’émeut de la mention bien de son fils au brevet des collèges, des projets d’études de médecine de son fils et du français parfait de sa fille. L’évocation de sa famille est toutefois douloureuse pour elle qui n’a pas revu ses parents depuis 2014 (ils ne connaissent pas ses deux plus jeunes enfants) et à qui ses deux sœurs (réinstallées elles aussi) manquent terriblement, tout comme sa Syrie natale.
La langue comme clé
L’entre-deux souvent difficile à négocier qui suit la réinstallation et précède l’intégration, Manal l’a consacré aux autres. Elle a intégré bénévolement l’Association Familiale Intercommunale de Beauvais pour y dispenser des cours d’alphabétisation, ainsi que la Maison de la paix, où elle a enseigné l’arabe aux enfants.
Sa connaissance approfondie de l’enseignement des langues lui permet de tenir un discours fin sur l’apprentissage du français pour les réfugiés. Elle a trouvé la formation linguistique dispensée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) « un peu courte » et aurait souhaité bénéficier de davantage de cours (ndlr : la formation linguistique a depuis été étoffée et le plafond d’heures doublé).
Car pour elle, parler la langue du pays d’accueil est « la clé de l’intégration ». Et ce n’est pas un hasard, pour elle, si c’est au moment où elle a maîtrisé le français que son horizon s’est éclairci.
Elle insiste toutefois sur l’importance de ne pas renier sa langue maternelle en situation d’exil et continue de parler arabe à ses enfants « pour qu’ils ne perdent pas leurs racines ».
Wanderlust
En cette journée internationale du droit des femmes, elle souhaite insister sur leur immense potentiel. « L’intégration n’est pas plus difficile pour les femmes, elles ont toutes un potentiel, il faut simplement qu’elles le découvrent et qu’elles trouvent leur place », assure-t-elle. Elle est fière de son parcours et espère être un exemple pour les femmes réfugiées en France. La prochaine étape, pour elle, est l’acquisition de la nationalité française et, espère-t-elle, la possibilité de voyager.
Elle qui maîtrise trois langues rêve en effet de pratiquer celle qu’elle a le moins d’occasion de parler : l’anglais. Dès la fin de la crise, elle projette un voyage dans un pays anglo-saxon. Go, girl…