Le dessinateur iranien Jam était présent à la rencontre annuelle des acteurs de l’accueil et de l’intégration des réfugiés, l’Agora, qui a eu lieu le 5 juin dernier. Le thème de cette année était l’engagement des réfugiés dans la société française. Tout au long de la matinée, il a pu suivre les différents événements – discours, ateliers et temps d’échange durant déjeuner. Il les a illustrés à travers les dessins que nous vous présentons dans cet article. Découvrez aujourd’hui cet artiste réfugié et son engagement à travers son activité artistique.

L’illustrateur Jam lors de l’Agora, 5 juin 2023.

Vous êtes réfugié politique et vivez en France depuis 2015, qu’est-ce que cette journée avec les acteurs de l’accueil et de l’intégration des personnes réfugiées signifie pour vous ?

La question migratoire est importante pour l’Etat français, et ce que fait la Diair depuis 2018 est primordial. Cette journée montre que l’Etat veut nous aider avec un objectif bien défini qui est celui de l’intégration. C’est un véritable moment de partage, de réunion pour essayer de se comprendre les uns les autres et œuvrer communément pour l’accueil et l’intégration. J’ai rencontré des associations qui emploient des réfugiés, et beaucoup de bénévoles qui veulent se rapprocher de nous pour nous aider. J’ai pu parler avec beaucoup de monde, et une association m’a d’ailleurs proposé de participer à une journée de commémoration des femmes iraniennes, proposition que j’ai bien volontiers accepté ! J’ai appris tout au long de la journée : sur la culture, le sport, la jeunesse et le programme de réinstallation. Ce sont quatre sujets très importants à comprendre et à analyser. Par exemple lors de l’atelier culture, j’ai entendu certains artistes parler des difficultés qu’ils ont rencontrées, leur vie d’exilés au sein d’un nouveau pays. L’atelier sport aussi m’a beaucoup fait réfléchir, parce que je n’avais jamais envisagé cette discipline ainsi : il permet de sortir de chez soi pour aller vers l’autre, de faire se rencontrer des personnes qui ne se seraient pas parlées dans un autre cadre, parce qu’elles ne sont pas de la même culture… L’Agora est un moment de rassemblement qui est nécessaire pour tous !

 

Comment exprimez-vous votre engagement dans la société française, est-ce que celui-ci a évolué depuis votre arrivée et si oui de quelle manière ?

En Iran, j’étais déjà engagé : j’étais dessinateur de presse et très actif dans le domaine journalistique en dénonçant les injustices, qui étaient nombreuses en Iran. Je cherchais d’abord à comprendre personnellement les choses, puis j’en faisais des dessins que je proposais aux autres. C’était mon rôle, de comprendre, puis de réagir en expliquant à autrui ce qui était injuste.  Beaucoup de gens ne connaissaient pas leurs droits et le pouvoir en profitait.

En France, c’est un peu plus compliqué car ce n’est pas ma langue maternelle ni ma culture. Je suis arrivé fin 2014, et au début j’étais coincé pour comprendre les gens car je ne parlais pas français : la langue est vraiment une clef qui ouvre des portes. C’est après avoir obtenu une certification de niveau de langue, en ayant progressé, que j’ai cherché à m’engager vraiment.

Ce pays m’a d’ailleurs très bien accueilli, donc j’aimerais dire merci aux Français et Françaises, ils étaient très ouverts. Mon but est de bien m’intégrer : prendre mon rôle en tant que citoyen français, adhérer aux valeurs de la République et de ceux qui vivent ensemble au sein d’un même pays avec un même idéal. Il y a deux ans maintenant j’ai fait une demande de naturalisation, que j’ai obtenue. Je peux voter aux élections et vraiment participer à la société française. Même après huit ans, je ne comprends pas encore tout sur la politique française, donc ma façon de dessiner n’est plus autant dans la dénonciation qu’en Iran.

Mon pays natal m’a apporté beaucoup et m’a permis de faire des études, de recevoir une bonne éducation, puis d’être professeur des Beaux-Arts à l’université. J’ai donc acquis des compétences pédagogiques envers un public plus jeune, tout en développant mon propre art. Lorsque mon pays m’a rejeté et que j’ai dû partir, j’avais déjà une vie derrière moi, de l’expérience avec des compétences et du talent : c’est donc cela que je peux proposer à la société française, une nouvelle richesse, pour y apporter quelque chose de positif et l’améliorer. C’est ça qui fait la France, c’est ce partage des cultures. Moi, qui viens d’Iran, me mélanger à d’autres personnes qui viennent de pays différents, c’est ce qu’on appelle la multi culturalité, à laquelle je suis très attachée.

Actuellement, avec l’association Cartooning for Peace, je propose des ateliers pédagogiques auprès de jeunes français et françaises, lors desquels je parle de mon métier en Iran, des différences avec la France. J’essaye de faire comprendre à ces jeunes la chance qu’ils ont, parce qu’en Iran ils n’auraient pas eu autant de libertés qu’ici : c’est donc important de protéger cette liberté qui est une richesse, et de préserver les valeurs de la France.

C’est donc seulement maintenant, après toutes ces années, que je commence à pouvoir aider les autres, à apporter mon expérience, mes compétences et la richesse de ma culture à la société française. C’est ainsi que je m’engage en France. Mais j’ai toujours besoin d’être aux côtés de citoyens français pour m’aider à comprendre la vie dans ce pays, la façon de réfléchir. Je me permettrais cette image, pour bien me faire comprendre : prenons une équipe de football. Lorsqu’un nouveau joueur arrive, il doit d’abord s’adapter au jeu déjà mis en place, et une fois qu’il s’est adapté, alors il cherche ensuite à apporter de nouvelles choses, pour permettre à l’équipe de s’enrichir de ses capacités et d’aller encore plus loin. Selon moi, c’est la même chose pour chaque personne dans la société, pour qu’elle fonctionne au mieux.

Comment qualifieriez-vous votre art ? A-t-il évolué au cours de votre vie (entre l’Iran et la France) ?

J’ai toujours dessiné. J’ai commencé à huit ans, puis j’ai passé les écoles supérieures, comme les beaux-arts de Téhéran, et je suis resté dans cette voie. En Iran je pense que je m’autocensurais, j’aurais aimé faire beaucoup de choses, mais je me limitais, et c’est une catastrophe pour un artiste qui a besoin de s’exprimer pleinement à travers son art. J’étais un poisson dans un petit lac, et je suis arrivé dans cette grande mer qu’est la France, avec bien plus de libertés qu’en Iran. C’est une chance pour moi d’être ici, car j’ai pu développer mes activités artistiques. Un artiste doit toujours travailler, améliorer et faire grandir son talent, et cela je peux le faire en France. Je parle souvent à des amis de mon parcours migratoire, et je résume cela comme un sauvetage de mon talent. En Iran, il s’était perdu, éteint, renfermé. En venant ici, j’ai sauvé mon talent et ma liberté artistique !

 

Y-a-t-il un message que vous souhaiteriez faire passer aux personnes réfugiées ?

Lorsqu’on vient d’un autre pays, ce n’est pas facile, on ne connait rien. Le mieux, c’est d’essayer de comprendre, d’aller vers les autres, et provoquer les possibilités d’échanges avec autrui. La langue était un premier barrage, j’avais du mal à m’ouvrir car je ne la maitrisais pas et donc les personnes que je rencontrais pensaient que je n’étais pas capable à cause de cela, ils me regardaient différemment parce qu’on ne se comprenait pas. J’ai compris ensuite que si tu es capable de parler correctement et de dire ce dont tu as besoin, alors tu peux échanger plus facilement et donc on peut t’aider plus facilement. Vous avez plusieurs choix : soit vous restez dans votre maison, dans votre communauté, et donc vous restez fermé au monde, soit vous cherchez à comprendre ce qui se passe autour de vous, à aller vers l’autre et enrichir vos capacités pour apprendre de nouvelles choses ! C’est ce deuxième choix que j’ai fait : toujours apprendre, essayer, persévérer, pour mieux comprendre, et mieux s’intégrer ! La France est à mes yeux un pays d’associations : beaucoup de gens sont là, prêts à aider les autres : il faut donc sortir de chez soi pour aller chercher ces personnes et se tourner vers les bons interlocuteurs. J’en profite d’ailleurs pour remercier JRS France, qui m’a accueilli et m’a aidé à apprendre le français puis à trouver un travail.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

L’année dernière j’ai candidaté à une bourse d’artistes en Suisse, pour un projet qui s’appelle « Vivre Ensemble ». Ce projet va être un produit comme un livre, une bande-dessinée probablement dans lequel je vais parler, à travers le dessin, du multiculturalisme et des migrations. Ce sera à destination des jeunes, pour leur permettre de mieux comprendre toutes ces problématiques.

Je finirais cette interview en remerciant la Diair pour m’avoir donné l’opportunité de dessiner lors de cette Agora, d’avoir ainsi donné espoir et courage à l’artiste exilé que je suis. Ce genre d’événements permet de ne pas perdre espoir, et montre qu’on pense à nous, les personnes réfugiées : merci la Diair, et merci la société française pour son engagement envers nous !

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