Ce 17 mai est célébrée la journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie. Cette date a été choisie en commémoration du 17 mai 1990, lorsque l’Organisation Mondiale de la Santé a pris la décision de ne plus considérer l’homosexualité comme une maladie mentale. Ce n’est qu’en 2005 que cette journée est officialisée journée internationale par le comité IDAHO, International Day Against Homophobia and Transphobia. Les personnes qui connaissent l’exil peuvent être exposées à des formes de violences ou de vulnérabilités liées au genre. Ces phénomènes contribuent à accroître et perpétuer les inégalités.

Aujourd’hui, retrouvez l’interview d’Anna Shcherbakova, activiste d’origine russe qui milite en faveur des droits des personnes LGBTQIA+ et engagée pour les droits des personnes en migration.

 

 

  • Anna, pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Avant de venir en France en 2016 et d’être réfugiée, je faisais des études en histoire avec un « Master des recherches comparatives en sciences humaines et sociales ». Je les ai  abandonnées puis reprises en France. J’ai aussi travaillé dans les médias en lien avec la culture et les voyages. J’étais déjà mobilisée dans mon pays d’origine dans plusieurs combats militants, dont celui lié à la cause LGBTQIA+. C’est mon exil et mon expérience de migration en tant qu’appartenant aux minorité sexuelle et de genre qui m’ont amenée à aller plus loin dans mon engagement. Aujourd’hui en France, j’ai interrompu mon parcours de chercheuse pour travailler dans le plaidoyer et l’accompagnement des personnes, via mon association Urgence Homophobie. Même si j’ai un peu de mal à le dire, je me définis comme professionnelle de l’accueil des réfugiés qui font face à des problématiques d’identité de genre et d’orientation sexuelle.

 

  • Pouvez-vous nous en dire plus sur votre association ?

Urgence Homophobie est une association qui travaille quotidiennement auprès des personnes LGBTQIA+ en situation d’exil. En 2017, quand on a créé cette association, ces deux sujets étaient rarement traités ensemble mais depuis, et grâce à l’effort de plusieurs acteurs de terrain, on retrouve davantage d’intersectionnalité dans le spectre de la migration. Initialement, cette association a été fondée pour venir en aide en urgence aux personnes fuyant la Tchétchénie en 2017, suite aux rafles homophobes qui perdurent encore. En 2018, on a élargi les missions de l’association, pour que celle-ci s’adresse aux demandeurs d’asile de toutes les nationalités. La mission principale d’Urgence Homophobie, c’est l’accompagnement juridique, administratif et social des personnes LGBTQIA+ en migration, essentiellement les demandeurs d’asile et réfugiés.

La crise sanitaire de la COVID-19 a gelé tous les déplacements et a contraint beaucoup de personnes à rester dans leur pays d’origine alors qu’elles y étaient en danger, du fait de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. Elles nous ont sollicitées pour savoir comment quitter leur pays, afin de trouver une protection en France ou en Europe, ce qui nous a incité à élargir notre action à l’internationale et défendre la cause de voies légales et sûres de migration pour les personnes LGBTQIA+.

De manière générale, l’absence d’accompagnement adapté aux besoins d’une personne LGBTQIA+ est un vrai sujet. Une de nos missions à Urgence Homophobie est d’accompagner les personnes de ces publics à déposer leur demande d’asile en toute sécurité.

Depuis deux ans puisque la demande explosait, nous avons beaucoup travaillé sur les questions de la transidentité et de l’accès plus simple au changement d’état civil pour les personnes LGBTQIA+ en migration. Cette procédure est complexe pour les personnes en exil. En fait, aucune modification d’état civil n’est possible lorsqu’on est en demande d’asile – sachant que celle-ci peut durer plusieurs mois, voire années. Mais même lorsqu’on est reconnu réfugié grâce à la décision de l’OFPRA ou de la CNDA : pour que l’état civil soit modifié en accord avec l’identité de genre de la personne, il faudra attendre d’abord au moins un an pour qu’il soit établi et ensuite lancer la procédure de droit commun.

Au quotidien, nous devons répondre à des problématiques multiples : santé, migration et transidentité par exemple.

Nous nous sommes également mis en relation avec des associations intervenant auprès de personnes en migration, pour mieux prendre en charge les personnes les personnes LGBTQIA+ dans les différents contextes : des centres d’hébergement gérées par l’OFII aux Centres de Rétention Administrative (CRA).

Nous cherchons également à nous impliquer dans l’accompagnement des personnes LGBTQIA+ aux frontières, afin d’apporter notre expertise au service des juristes qui interviennent dans ce contexte particulier.

Enfin, on travaille sur le projet de centre LGBTQIA+ qui va s’ouvrir à Marseille. Plus précisément, nous travaillons avec l’équipe du centre pour développer un accueil de jour pour les personnes LGBTQIA+ en précarité sociale et administrative, qui sera un lieu unique en France [aucun lieu d’accueil de jour ciblé sur les questions de genre et de sexualité n’existe actuellement].

 

  • Comment appréhendez-vous la question des discriminations à l’encontre des LGBTQIA+ dans le cadre de l’exil ?

Dans notre pratique à Urgence Homophobie, et avec certains de nos partenaires de terrain, on parle d’exclusion, de vulnérabilité, de situation de précarité et de situation de discrimination, mais jamais de discrimination tout court, en tant que concept. Pourquoi ? Pour moi, la discrimination est une notion universaliste. Elle trouve son ancrage dans l’idée qu’un groupe dominant peut exercer une pression sur une minorité. Ce qu’on constate en croisant les problématiques LGBTQIA+ et les migrations, c’est que cet universalisme de l’oppression, on ne le trouve pas partout, pas dans toutes les situations. Parler de vulnérabilité permet de parler de la situation précise d’une personne, situation qui peut évoluer. Les vulnérabilités, les dynamiques discriminatoires peuvent se décliner différemment en fonction du profil de la personne, de son état de santé mentale et physique, de ses origines sociales… Le message que nous voulons faire passer, est qu’il faut se repenser la notion de « discrimination », trop figée dans le temps et dans nos perceptions des réalités sociales. Il y a des centaines de manières d’entendre la discrimination, de la vivre, et la multiplicité de ces manières remet en question l’existence même de la binarité discriminé/non-discriminé. Ainsi, parler de « situation de vulnérabilité » permet d’éviter d’essentialiser la condition de la personne.

 

  • En cette journée internationale contre l’homophobie et la transphobie, quel message souhaitez-vous mettre particulièrement en avant ?

Il y a beaucoup de militants pour les droits LGBQIA+ qui diraient que certaines des revendications dans le mouvement ne sont pas encore acquises, comme les questions du mariage, de la non-discrimination au travail ou encore de l’accès aux soins par exemple. Mais je pense que la manière la plus enrichissante et pertinente de militer pour les questions LGBTQIA+, c’est de rechercher les revendications partout autour de nous, et d’introduire les questions LGBTQIA+ dans chaque combat. Je préfère parler d’interactions des luttes, de la sensibilisation sur les questions de genre et de sexualité de manière large. Le combat que je mène avec d’autres ne se limite pas au mariage pour tous, dont on fête d’ailleurs les 10 ans cette année. Les questions de genre et de sexualité sont quotidiennes et concernent toutes les classes sociales. C’est cette conjugaison entre le grand et l’ordinaire qui est le cœur de la lutte LGBTQIA+.

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