À Pessat-Villeneuve (63), un village de 670 habitants dans le Puy de Dôme, une initiative solidaire a vu le jour durant le premier confinement. Les masques manquant sur tout le territoire, Hamidullah, un réfugié du centre provisoire d’hébergement de Pessat-Villeneuve, a décidé d’en produire. D’autres réfugiés se sont associés à sa démarche pour aider à la distribution. Grâce à eux, tous les habitants ont pu bénéficier de cette protection indispensable. Gérard Dubois, le maire du village, et Isabelle Harry, adjointe au maire ayant participé à la distribution des masques, nous racontent cette aventure.

Depuis quand le centre d’accueil est-il présent dans votre village ?

Gérard Dubois : Nous avons ouvert le premier Centre d’accueil et d’Orientation (CAO) du Puy de Dôme en 2015.  Il concernait les migrants de Calais. Nous avons ensuite souhaité pérenniser l’accueil dans notre village. Après avoir eu des accueils temporaires, nous voulions nous inscrire dans la durée. Nous avons été mis en relation avec une association locale, Cecler. Elle lutte contre l’exclusion des personnes en difficulté depuis plus de 24 ans sur l’agglomération Clermontoise. En 2017, nous avons candidaté ensemble pour ouvrir un Centre Provisoire d’Hébergement (CPH). Nous avons ensuite été retenus sur l’opération de la réinstallation des réfugiés. C’est à cette occasion que nous avons ouvert le Centre d’Accueil des Réfugiés Réinstallés en mai 2018. Le CAO est devenu un CPH.

Quelle est l’origine de cette politique d’accueil ?

G.D. En 2015, la photo du petit Aylan a été le déclencheur de mon engagement. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. À ce moment-là, nous venions de racheter un centre de vacances qui appartenait à Air France et qui était inoccupé sur la période hivernale. Il m’a semblé logique de le proposer à l’État pour accueillir des familles. Fin octobre 2015, les préfectures ne trouvaient aucun centre pour accueillir les migrants de Calais, ils se sont souvenus de moi. Tout s’est enchaîné très rapidement. Nous avons accueilli 48 migrants dans un premier temps. Ils ont débarqué dans notre belle région. Notre petit village avait 550 habitants à l’époque. Ensuite, pérenniser le centre a été une vraie volonté à la fois personnelle, et aussi de l’équipe municipale.

C’est donc votre partenariat avec l’association Cecler qui vous a permis de participer à un appel à projet ?

G.D. Quand j’ai appris qu’il était possible de pérenniser l’accueil, je n’y connaissais pas grand-chose au sujet de l’asile. J’ai appris par hasard qu’il y avait des appels à candidature pour ce que l’on souhaitait mettre en place. On m’a mis en relation avec cette association, Cecler. Nous nous sommes rencontrés et tout de suite entendus. Nous avons déposé un dossier ensemble. C’était un pari au début. Il y a très peu de projet de ce genre au niveau national. J’ai compris que l’association misait aussi sur mon engagement. Avoir une commune en appui ça aide. Mais politiquement, il a fallu se battre.

 

Combien de personnes accueillez-vous aujourd’hui ?

G.D. Le CPH est calibré sur 70 personnes en permanence. Elles restent 9 mois sur place. À ce moment-là, il y a tout le processus de scolarisation, d’accès à l’emploi et au logement qui se met en place. C’est le travail de l’association. Ensuite, elles bénéficient encore d’un accompagnement de 3 mois.

 

Quel impact ont eu la crise sanitaire et le premier confinement ?

G.D. En mars dernier, l’arrivé du confinement a été compliquée pour tout le monde. Il y a eu une rupture avec le noyau dur de bénévoles, une vingtaine de personnes. Elles ne pouvaient plus venir aider les réfugiés.

 

Comment cette initiative de création de masque s’est mise en place ? L’idée est venue de votre côté ou de celle du centre ?

G.D. C’était compliqué car nous vivions ce confinement pendant les élections. Mes premières urgences étaient de gérer le confinement au niveau de la population du village avec les aînés notamment. Celles de Cecler, de gérer le centre. Ensuite, nous nous sommes rapprochés à propos des masques. Personne n’en avait. J’ai essayé d’en avoir pour le centre via l’Association des Maires de France. Nous avons pu faire des commandes groupées au niveau national pour les redistribuer, mais nous n’avons pas eu exactement ce que nous voulions. Puis, un jour, la directrice du centre Cecler m’appelle et me dit qu’un jeune réfugié, Hamidullah, est en capacité de coudre et qu’il se propose de faire des masques. J’ai tout de suite accepté.

 

Quelle était sa proposition ?

G.D. Son idée était vraiment de les offrir à la population, tout est parti de lui. Notre participation à l’action a été facile, comparée à son travail. Nous lui avons fourni le matériel : machine à coudre, élastique, tissu adéquat, pochettes en plastiques pour l’hygiène lors la distribution. Nous avions aussi créé une communication à ajouter dans les masques pour expliquer l’origine de ce masque et son histoire.

 

Comment at-il créé ces masques ? Et combien en at-il produit ?

G.D. Au centre. Un ami, Assan, l’a également aidé. Ils ont pris des patrons Afnor pour que leurs masques soient conformes aux normes sanitaires. J’avais des doutes au début sur la capacité de production. Je n’osais pas lui dire qu’il en fallait au moins 500. S’il y en avait un par habitant ce serait génial et au pire un pour chaque personne à risque. Au final, ils sont partis sur leur lancée et en ont fabriqué plus de 700.

De votre côté Isabelle Harry, qu’avez-vous pensé de cette initiative ?

Isabelle Harry : Au départ, j’ai été surprise de voir autant de compétences parmi les réfugiés. Quand Hamidullah a proposé lui-même de faire ces masques, j’ai trouvé cela extraordinaire. Cela m’a fait beaucoup de bien, comme à beaucoup de gens autour de nous. J’ai trouvé cela courageux de sa part. Il savait faire des choses et il a voulu les mettre en avant. On voit que c’est quelqu’un qui a envie de s’intégrer, c’est très important.

Il a saisi sa chance…

I.H. Les réfugiés n’ont pas toujours la possibilité de montrer cette volonté. Ils sont en France, c’est bien. Mais ce n’est pas forcément simple pour eux. Là, Hamidullah avait la possibilité de montrer ce qu’il savait faire et j’ai trouvé cela très bien. C’est pour cela que cela m’a fait plaisir de participer à cette distribution. J’avais même fourni une machine via une amie pour qu’il puisse avoir plus de matériel avec son copain Assan.

Comment les avez-vous distribués ?

G.D. À ce moment-là, nous commencions à avoir les premiers masques, nous étions en capacité de fournir quatre masques par personne. Mais la priorité était de distribuer ceux d’Hamidullah et Assan. Nous les avons d’abord distribués aux aînés du village, directement à leur domicile. Des élus, des agents du CCAS et des réfugiés partaient les distribuer chez ces personnes. Ensuite, nous avons fait une formule Drive. Les habitants pouvaient venir récupérer leurs masques à la mairie. Ce système a permis à Hamidullah de remettre en direct les masques aux gens qui se présentaient. C’est très fort car ils le voient, et avec le masque il y a le mot qui explique qu’il a fait ça pour eux, en retour de la protection que lui a apportée la France. Le symbole est beau. C’est une petite histoire qui témoigne d’un bel acte et d’un bel engagement.

 

Tous les masques ont été distribués ?

G.D. Il m’en reste un peu. J’aime bien les offrir aux gens qui viennent nous voir. Leur dire qu’ils sont à Pessat, un endroit peu ordinaire, où il se passe des choses. On ne sait jamais comment montrer le beau côté des choses, cet exemple en est un.

 

Isabelle Harry, vous avez participé à cette distribution. Comment s’est-elle déroulée

I.H. C’était un moment sympa. Il y avait quatre réfugiés dont Hamidullah. Il y avait également une dame de Cecler et une personne du CCAS. Nous sommes partis avec nos cartons, portés par les garçons. Il y avait à l’intérieur les masques à distribuer. Nous avions des listes pour savoir où déposer des masques.

 

Cela a donné l’occasion à Hamidullah de rencontrer les bénéficiaires…

I.H. Ce que j’ai aimé, c’est que la plupart des gens que nous pouvions voir ont très bien accueilli l’initiative. Ils étaient dans leur jardin ou devant chez eux. Je pense que les habitants de Pessat ont pu voir que ce sont des gens comme tout le monde. Il y a eu un échange. Le niveau de français des réfugiés est parfois limité mais ils arrivaient à répondre à des questions. Et même entre nous d’ailleurs. Je n’avais pas eu l’occasion de les rencontrer et là c’était bien. Cela m’a beaucoup apporté.

 

C’est en partageant des moments que l’on peut mieux se connaitre ?

I.H. C’est vrai que ce n’est pas toujours facile de le faire. Ils étaient très motivés à l’idée de créer les masques puis de les distribuer. Cela leur donnait l’occasion d’aller à l’encontre des habitants et d’entrer en contact avec eux. C’est vrai que quand le centre s’est installé, il y avait beaucoup d’habitants réticents. Il ne faut pas le nier. Ils avaient peur et ça n’a pas été simple. Moi la première je me suis posé des questions. Pour un petit village comme le nôtre, c’est normal. Progressivement les gens ont été rassurés et maintenant les réfugiés sont intégrés. Cette initiative a été un pas de plus. La majorité des habitants étaient très contents et trouvaient formidable de donner une chance aux réfugiés.

 

Comment Hamidullah et Assan ont réagi ?

G.D. La première personne qui a eu le masque c’est le porte-drapeau du village, 84 ans. Nous avons organisé une remise officielle à la mairie. Tout le monde était ému. Je sais qu’Hamidullah a reçu des lettres de remerciement. Nous en avons aussi reçu pour lui. Même Cecler a reçu une lettre officielle de Marlène Schiappa. Elle a été sensible à son geste. L’association a également remis à Hamidullah et Assan une médaille pour leur engagement sur la commune pendant la période de la crise sanitaire.

 

Que devient Hamidullah aujourd’hui ?

G.D. Il part en formation couture dans un village à 40km. Il devrait ensuite signer un CDI dans une entreprise de couture à Clermont-Ferrand. C’est la continuité d’une histoire. Cette histoire a été un coup de projecteur.

 

Quel a été l’impact sur les habitants du village ?

G.D. Je pense que ça a surpris les gens, c’est ce que j’aime bien. J’ai eu des réactions de certains habitants que je n’avais jamais eues, ou rarement. Certains me disaient que c’était bien de les avoir accueillis. Ce sont des paroles que l’on vient rarement me dire en face. Nous avons aussi eu des mails de personnes qui ne pouvaient pas venir récupérer les masques mais qui nous demandaient de lui dire merci. Nous n’avons jamais eu un seul problème sur notre territoire. Quelques liens se sont créés. Après, selon les personnes accueillies, elles vont surtout en ville pour les courses ou au city stade pour jouer au ballon. Là-bas, il y a des interactions avec les enfants du village. D’ailleurs ce sont les jeunes les meilleurs ambassadeurs au niveau de l’intégration dans le village.