Son français est posé, son ton est doux, mais on sent poindre dans son discours une solide détermination. Mohamad Alshikh vient de réussir le périlleux concours de la PACES (Première Année Commune aux Études de Santé), mais en lieu et place de l’euphorie qui saisit d’ordinaire les lauréats, il respire un bonheur placide, une joie sereine qui illumine son visage.

De la banlieue de Damas à Paris

Mohamad Alshikh est né il y a vingt-deux printemps à Qatana, dans la banlieue de Damas où il a vécu jusqu’à 18 ans avec ses parents et sa sœur. En 2017, il répond à un appel à candidatures qui propose des bourses d’études à des jeunes Syriens désireux de poursuivre leurs études en France. L’association Démocratie et Entraide en Syrie « Ghosn Zeitoun » offre alors à une vingtaine de jeunes Syriens ou réfugiés palestiniens un programme de reprise d’études dans les universités françaises (1). Il est sélectionné parmi 2500 candidatures.

Une aubaine pour Mohamad, dont le cursus a été brutalement interrompu par la guerre. Son dossier est solide, il est sélectionné et, en novembre 2017, il quitte sa Syrie natale pour s’envoler vers Paris, où il étudiera le français pendant un an au sein du Diplôme Universitaire « passerelle » (2) de l’université Sorbonne-Paris-Nord.

Un rêve : devenir médecin

Dès son arrivée à Paris, Mohamad se fixe un cap : le concours de la PACES. La médecine est sa vocation depuis sa plus tendre enfance, il vient d’une famille de médecins et compte fermement reprendre le flambeau. Elève particulièrement brillant, il atteint le niveau B2 en français en à peine un semestre et laisse ses camarades continuer leur apprentissage du français pour se consacrer aux études de médecine (il est dispensé des cours de français du second semestre pour préparer son inscription en PACES).

Il rencontre alors Floriane, sa tutrice, qui lui présente le campus de la faculté de médecine de Bobigny et l’aide à trouver ses marques dans le système universitaire français. Il s’inscrit en PACES en septembre 2018, arrive assez bien classé pour comprendre qu’il a ses chances et se réinscrit en septembre 2019.

L’année universitaire se terminera à la mi-mars, confinement oblige. Mais rien n’arrête Mohamad, dont le regard demeure rivé sur le concours : ni l’interruption des cours, ni la fermeture de la bibliothèque universitaire, ni le confinement dans sa chambre d’étudiant à Bobigny, loin des siens. Il travaille, lit, fait du sport, travaille encore.

La culture, outil d’émancipation et d’intégration

Après le calvaire des épreuves (maintenues en présentiel) arrive la délivrance des résultats : il est classé 148ème/1050 et intègre la deuxième année de médecine à l’USPN (Université Sorbonne Paris Nord). Il est conforté dans ses choix, celui de la médecine d’abord, celui de l’USPN ensuite (on lui avait conseillé de s’inscrire dans une université parisienne, mais l’enseignement des humanités propre à l’USPN lui convenait davantage). Il enchaîne avec son premier stage à l’hôpital Avicenne, dès le mois de juillet, dans le service de gériatrie.

Après les années concours, ce passionné de lettres et de théâtre compte consacrer son temps libre à la culture et au sport. Il cite Patrick Modiano, Leila Slimani et Naguib Mahoufz parmi ses auteurs favoris et s’est offert les œuvres complètes de Molière aux éditions de la Pléiade. Il compte fréquenter assidûment le service culturel de l’USPN, qui lui a fait découvrir l’Opéra-Comique (les bains macabres, « spectacle extraordinaires »), le cirque (à l’académie fratellini) et le théâtre contemporain (avec la pièce frères, entre autres, de la compagnie les maladroits).

Espoirs et engagements pour sa patrie d’adoption

Il réfléchit aussi à son statut administratif : il est bénéficiaire de la protection subsidiaire et songe à la naturalisation française. Il rêve de pouvoir faire venir sa famille car il n’envisage plus de quitter la France où, dit-il joliment, il a « retrouvé son intégration perdue ».

Le seul regret qui affleure dans son propos concerne le sort des exilés, en particulier ceux qu’il a rencontrés Porte de la Chapelle au cours d’une maraude avec l’association Utopia 56. Il se souvient de la demande insistante (et presque unique) de cours de français, qui semblait passer avant tout, même les besoins les plus vitaux.

Il regrette aussi l’injustice sociale face à des concours aussi sélectifs que la PACES. Certains de ses camarades ont été contraints de travailler pendant qu’ils préparaient le concours, ce qui leur en a de facto fermé les portes. Lui a pu bénéficier d’une bourse sur critères sociaux et d’une chambre en résidence universitaire, qui lui ont permis de se consacrer pleinement à ses études.

Après avoir bénéficié de la protection de la France, Mohamad Alshikh jurera bientôt à son tour, lors de son serment d’Hippocrate, de « protéger toutes les personnes vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité » : le jeune protégé deviendra alors à son tour protecteur.

 

(1) Ce programme repose sur un partenariat entre l’association, la Mairie de Paris, la Conférence des Présidents d’Universités (CPU), des universités parisiennes (qui assurent l’apprentissage du français et l’intégration dans l’enseignement supérieur), l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), le CROUS et France-Terre-d’Asile.

(2) Cette formation intensive en langue, culture et méthodologie universitaire constitue une passerelle pour l’université française et vise à donner à tout étudiant ayant été forcé d’interrompre ses études les prérequis langagiers, culturels et méthodologiques lui permettant d’intégrer des études supérieures en France.

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