En cette journée internationale des droits des femmes du 8 mars, la Diair met en lumière les parcours d’intégration de femmes réfugiées en France. 8 portraits de 8 femmes venant d’horizons variés sont publiés, pour valoriser la vie qu’elles se sont construites en France, les liens tissés, et la résilience dont elles font preuve.

Au début de l’entretien, Anna sort de chez le dentiste pour une rage de dent. Mais c’est plutôt sa rage de vivre qui transparaît à mesure que se déroule notre échange.

Anna a quitté la Russie voilà quatre ans pour trouver refuge en France, à Marseille, où elle vit une vie qu’elle décrit comme « modeste, mais apaisée ». Elle se définit, à plusieurs reprises, comme « privilégiée » car son parcours d’exil l’a parachutée tout en douceur dans un tissu marseillais patiemment tissé au fil de séjours répétés dans la cité phocéenne. Ainsi, alors que Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) lui avait proposé un hébergement à Bordeaux, elle a préféré compter sur une communauté LGBT marseillaise soudée et accueillante.

Sa situation est pourtant loin d’être privilégiée, mais Anna parle finalement assez peu d’elle. Son propos, c’est les autres et c’est en leur tendant la main qu’elle trouve chaque jour sa place dans la société française.

Elle tient un discours à la fois érudit et subtil sur la migration et l’exil, discours qui allie l’expérience à une réflexion fine sur les mécanismes complexes de l’intégration, en particulier pour les femmes. « L’intégration, c’est parfois la désintégration… », note-t-elle avec un brin de perfidie.

Pour elle, l’intégration est une exigence de chaque instant et elle ressent souvent, bien que de manière diffuse, une certaine pression pour se conformer. Il en va ainsi des remarques sur son accent (à peine discernable), qui peuvent finir par la blesser. Mais elle sait passer outre car pour Anna, l’exil est un sport de combat.

Le paradoxe français

Elle déroule son parcours d’intégration depuis son arrivée en France, à l’âge de 27 ans, et égrène au passage une série d’ambivalences, sinon de contradictions.

Elle a vécu, par exemple, l’intégration par l’emploi qui lui a été proposée d’emblée comme « une pression difficile à vivre », mais elle loue en parallèle un système de protection sociale qui lui a permis de passer outre cette injonction pour suivre la voie qu’elle avait choisie, celle de l’engagement.

Dès son arrivée en France, en 2016, elle intègre une association spécialisée dans l’accompagnement des personnes LGBTQIA+ en demande d’asile. « En Russie, mon engagement était passif, c’est l’exil qui lui a donné de l’élan », affirme-t-elle. Elle fait aujourd’hui partie du bureau de l’association Urgence Homophobie, a repris un Master en sciences sociales et compte se professionnaliser dans le domaine de l’asile. Pour elle, le déclassement qui fait souvent suite à l’exil n’a pas été « si dramatique que ça, bien au contraire : on n’est pas défini par son métier et on peut être bien plus utile dans une mission de volontariat que dans un emploi précaire et alimentaire ».

Son engagement lui a non seulement ouvert sa voie professionnelle (elle souhaite faire de son combat un métier et devenir juriste associative), mais il lui a aussi offert ses plus belles amitiés. Malgré les difficultés qu’elle évoque à construire des amitiés solides en France, elle a noué des liens forts, notamment avec une avocate rencontrée au détour d’un dossier. Et elle avoue avoir quand même quelques vrais amis à Marseille, ainsi qu’un réseau solide sur lequel elle peut s’appuyer.

Une experte dans le domaine du droit des réfugiés

L’été dernier, elle est contactée par l’Institut Français des Relations Internationales pour intervenir sur le parrainage citoyen des réfugiés. Au cours de la table ronde, elle s’aperçoit qu’elle est non seulement la seule non-francophone, mais qu’elle est aussi parmi les plus jeunes participantes. « Et là, je me suis dit : ah ! oui, quand même ! », lance-t-elle dans un éclat de rire.

Anna est en effet, en dépit de son immense modestie, une experte (re)connue dans le domaine du droit des réfugiés. Elle a d’ailleurs accepté de conseiller les lauréats de l’Académie pour la participation des réfugiés , une initiative de la Délégation Interministérielle pour l’Accueil et l’Intégration des Réfugiés qui réunit douze bénéficiaires d’une protection internationale et les accompagne afin qu’ils puissent, à terme, faire entendre leur voix dans les instances décisionnaires.

“Les femmes réfugiées ne constituent pas un bloc homogène”

En cette journée du droit des femmes, c’est sur leur diversité qu’elle souhaite insister. Les femmes réfugiées ne constituent pas un bloc homogène et leur multiplicité doit, selon elle, être bien davantage prise en compte par les professionnels de l’accueil. Il y a tant de paramètres à prendre en considération : l’origine géographique, sociale, le milieu familial… sans parler des femmes victimes de violence, qui nécessitent un suivi spécifique et ne peuvent être intégrées sans une reconstruction préalable, explique-t-elle.

Pour clore l’entretien, Anna évoque des femmes qu’elle admire. Parmi elles, Najat Vallaud-Belkacem, dont le roman autobiographique, La vie a plus d’imagination que toi, l’a beaucoup émue.

Sophie Balachowsky-Petit, première femme à prêter le serment d’avocate, tout en étant étrangère (elle est née dans l’empire russe), figure aussi dans son panthéon personnel. C’était en 1900. La relève est assurée.

 

Aller au contenu principal