Le 5 juin dernier, la Diair organisait sa 5ème édition de la rencontre annuelle des acteurs de l’accueil et de l’intégration des réfugiées, plus communément connue sous le nom d’Agora. Pour marquer le retour tant attendu de cette rencontre – qui n’avait pas pu se tenir en 2022 — le délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés Alain Régnier a souhaité que cette journée porte sur le thème de « l’engagement des personnes réfugiées dans la société française ». Plus de 350 personnes ont participé à cette journée.
Dans une récente interview, Alain Régnier a tenu à rappeler la portée de cet événement : « L’Agora est, avant tout, un temps fédérateur, de rencontres : c’est le plaisir d’échanger et de se réunir. Pour la cinquième fois, nous aurons l’occasion de rassembler tous les acteurs qui œuvrent en France pour l’accueil et l’intégration afin qu’ils puissent partager leur expérience et nous donnerons aussi, bien évidemment, la parole aux personnes réfugiées elles-mêmes. ». Cette année, il a souhaité valoriser l’engagement des personnes réfugiées au sein de la société française car « nombreux sont les secteurs et enjeux au sein desquels les personnes réfugiées peuvent illustrer leur engagement ».
Au-delà d’un événement, l’Agora est un appel annuel au rassemblement de tous les acteurs engagés du champ de l’accueil et de l’intégration des personnes réfugiées : associations, entreprises, chercheurs, administrations, collectivités territoriales, citoyens engagés etc. Face aux discours hostiles et aux inquiétudes liées aux mouvements migratoires, cette rencontre nous rappelle la richesse culturelle, économique et humaine qu’apportent les personnes réfugiées aux territoires qui les accueillent. L’Agora permet également de se remémorer le travail accompli depuis 2018 en faveur de l’accueil et l’intégration des réfugiés par la délégation et ses partenaires. Elle nous incite aussi à tracer des perspectives d’action collective pour l’avenir.
Une journée articulée autour de groupes thématiques
La journée a été introduite par Madame Sonia Backès, Secrétaire d’Etat chargée de la citoyenneté et la parole a ensuite été donnée à Monsieur Paolo Artini, représentant en France et à Monaco du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
Durant la matinée, quatre ateliers thématiques se sont déroulés simultanément. Ils portaient sur le programme de réinstallation, la culture, la jeunesse et le sport. Ils ont permis des discussions en plus petits groupes. Un temps important a aussi été consacré aux témoignages et aux retours d’expérience. Une courte restitution des travaux a été faite en début d’après-midi.
Réfugiés.info était également présent lors de cette Agora. L’occasion de faire (re)découvrir la plateforme aux plus de 300 participants qui étaient là. Professionnels et réfugiés ont pu constaté l’évolution considérable tant dans la qualité du produit qu’en termes que du nombre d’usagers.
L’atelier réinstallation
Cet atelier s’est intéressé au parcours des personnes réfugiées réinstallées, du pays de premier asile à l’intégration en France, en passant par les premiers jours d’arrivée.
Le programme de réinstallation repose sur l’engagement de l’ensemble des acteurs du programme de réinstallation, en amont comme en aval. Piloté par la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, il est mis en œuvre en étroite collaboration avec le HCR et l’Organisation internationale des migrations (OIM). En coordination avec la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) et la DIAIR, la DGEF organise l’accueil en France des personnes réinstallées, en lien étroit avec les services déconcentrés et les opérateurs de la réinstallation en région.
Ce programme a pour autre spécificité d’offrir à ses bénéficiaires un accompagnement social renforcé lors de la première année d’arrivée au regard des vulnérabilités spécifiques de ce public. Cet accompagnement est réalisé par des opérateurs financés par l’État via des fonds européens.
Animé par Adam Ashqar – lauréat de l’Académie pour la participation des réfugiés – et Clotilde Giner – adjointe au chef du département de l’accueil des demandeurs d’asile et des Réfugiés au ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer – les objectifs de cet atelier ont été multiples :
- Mettre en lumière les témoignages individuels de réfugiés réinstallés;
- Présenter et valoriser les actions des acteurs engagés dans la réinstallation;
- Favoriser les échanges constructifs et la rencontre entre les acteurs de la réinstallation;
- Identifier les bonnes pratiques et réfléchir ensemble à des pistes d’amélioration
L’atelier culture
Introduit par Maria-Carmela Mini – Directrice du Festival Latitudes contemporaines – cet atelier a été décliné en deux sous-ateliers visant à explorer les axes de réflexion suivants : la création des artistes réfugiés, d’une part, et les échanges culturels et pratiques artistiques, d’autre part.
Au total, près d’une quinzaine d’intervenants issus d’horizons divers et variés ont pu présenter leurs actions et échanger avec de nombreux participants : des artistes réfugiés évoluant dans le domaine du scénario et des séries TV, des arts plastiques ou de la littérature mais également des représentants d’institutions et d’associations (Bibliothèques sans frontières, Atelier des artistes en exil, Association des centres culturels de rencontre…).
Structurés afin de faciliter les échanges entre les participants, ces ateliers ont permis de mettre en exergue le rôle de l’art et de la culture dans le parcours d’accueil et d’intégration des personnes réfugiées en France. L’importance des enjeux interculturels a notamment été soulignée. En outre, les intervenants ont pu présenter les dispositifs mis en œuvre et les actions existantes pour favoriser la création et les échanges en France et en Europe.
Cet atelier a mis en exergue l’importance de l’art pour saisir l’enrichissement mutuel qu’offre la rencontre avec l’altérité.
Présentation des deux sous-ateliers :
- «La création artistique : un acte d’engagement au service de la société » : ce sous-atelier a exploré le processus créatif des artistes réfugiés : de leur exil, aux modalités d’accueil et d’accompagnement en passant par l’enjeu de la diffusion de leurs œuvres.
- «Diffuser les pratiques culturelles et favoriser les échanges artistiques » : ce sous-atelier a posé la nécessité de penser les échanges et les pratiques artistiques sous le prisme de la rencontre de l’autre à travers une présentation des dispositifs déployés par une diversité d’opérateurs.
Les échanges ont permis d’identifier les perspectives d’amélioration pour mieux utiliser les ressources de l’art dans les parcours d’intégration : en particulier, il est nécessaire de mieux associer les acteurs engagés au sein de réseaux structurés, facilitant la valorisation des échanges entre les personnes réfugiées et la société, notamment, en zone rurale. L’approche artistique dans le cadre de l’apprentissage de la langue française est également une piste évoquée. En outre, il a été plaidé une attention particulière à l’accueil des artistes exilés.
L’atelier jeunesse
Du grand programme national de service civique Volont’R aux dispositifs de mentorat étudiant en passant par des initiatives pédagogiques ou associatives dédiées à l’innovation sociale, cet atelier consacré à la jeunesse a réuni celles et ceux, qui par leur dynamisme et implication quotidienne illustrent la force et l’impact de l’engagement. Un engagement résolument tourné vers la collectivité et les individus qui la composent. Avec plus d’une cinquantaine de jeunes en service civique participant à cette Agora, la DIAIR a souhaité mettre en avant l’action et l’engagement de ce public.
Marie Trellu-Kane – Présidente d’Unis-Cité- a introduit l’atelier jeunesse face à une diversité de participants issus d’horizons distincts. Elle est, notamment, revenue sur la nécessité de continuer à œuvrer à une société du vivre ensemble faite de diversité et concourant à un idéal de fraternité.
Deux sous-ateliers ont ensuite permis d’explorer les nombreux enjeux posés par l’articulation entre « jeunesse » et « engagement ».
- Un premier sous-atelier intitulé «Jeunes volontaires et bénévoles : un engagement au service de l’intérêt général» a permis d’illustrer l’engagement des volontaires en service civique ou de bénévoles au sein d’associations, notamment à travers le programme Volont’R. Il a interrogé les motivations précédant les missions réalisées et a permis de réfléchir collectivement aux perspectives qui découlent de ces expériences. La possibilité de faire évoluer les critères d’éligibilité au service civique pour certains types de publics réfugiés a été évoquée.
Le besoin de soutien en matière de santé mentale a également été souligné.
Enfin, les participants ont abordé la question de l’accès à la mobilité des jeunes engagés pour qu’ils puissent se déplacer et accéder plus facilement aux lieux des missions de service civique.
Ces pistes d’amélioration, suggérées par les participants à l’atelier, soulignent l’intérêt porté au service civique et au bénévolat comme vecteurs d’engagement des personnes réfugiées.
- un second sous-atelier intitulé «– L’engagement des jeunes réfugiés : une occasion inédite d’exercer sa citoyenneté » s’est intéressé à la notion de citoyenneté. L’idée était d’ouvrir la réflexion sur des dispositifs et projets permettant à de jeunes réfugiés de pouvoir s’engager dans la société à travers des dispositifs de participation et de discussion.
Il a été noté que les initiatives locales, pourtant essentielles à une adaptation réussie aux besoins, sont encore insuffisamment reconnues et soutenues. La possibilité d’utiliser davantage les réseaux sociaux pour diffuser des informations courtes et précises auprès des jeunes a été suggérée
De plus, des initiatives telles que l’Académie pour la participation des personnes réfugiées ont été saluées. En effet, ce type de dispositif permet de montrer que les personnes réfugiées peuvent aussi être actrices au sein de la société, y contribuer et devenir une source d’enrichissement pour la collectivité.
L’atelier sport
Cet atelier avait pour but d’illustrer la façon dont l’engagement sportif des personnes réfugiées pouvait être une chance pour la société française et un pont pour créer des liens entre les réfugiés et la société d’accueil. En partant de témoignages de terrain, il visait à imaginer les moyens de le développer dans un contexte propice à son essor (Coupe du monde de rugby 2023, JO 2024…).
L’atelier a dans un premier temps permis de donner la parole à des personnes réfugiées engagées dans le monde du sport et à des acteurs intégrant cette thématique dans l’organisation de grands événements sportifs. Des joueurs du club de foot US Argy (Indre) ont ainsi raconté comment la survie du club avait été rendue possible grâce à l’engagement de personnes réfugiées et à la rencontre entre « un club sans joueur et des joueurs sans club ».
Des jeunes en service civique dans le cadre du programme Volont’R, réfugiés et français, ont témoigné des activités sportives qu’ils encadraient en faveur de publics jeunes ou seniors. Ils ont mis en lumière les liens qu’ils ont pu créer entre eux dans le cadre du programme et l’impact de cet engagement sur les personnes qu’ils accompagnent mais aussi sur leurs vies. Un éducateur sportif au sein de l’association Kabubu a clôturé les témoignages des personnes réfugiées engagées dans le sport et a rappelé que « derrière chaque personne réfugiée, il y a une histoire particulière, des valeurs, mais il manque juste une main pour se lever ».
Enfin, France 2023, organisation chargée de l’organisation de la coupe du monde de rugby qui aura lieu en France cette année, et l’association Ovale citoyen, ont témoigné des actions menées dans le cadre de ce grand événement sportif en faveur des personnes réfugiées et de leur insertion professionnelle.
A l’issue de ces témoignages, un temps d’échanges en sous-groupe a permis de prolonger les discussions et de faire émerger certains constats. Ont notamment été mis en avant les freins spécifiques auxquels certaines personnes réfugiées peuvent être confrontées pour avoir accès à la pratique sportive, et en particulier les femmes. La mise en avant de la pratique collective, en famille notamment, est ressortie comme pouvant être un moyen de lever ces freins, et en particulier les difficultés liées à la garde d’enfant.
Du côté des clubs, les difficultés administratives et financières liées à l’acquisition des licences ont été rappelées de même que la méconnaissance des dispositifs de droit commun ou spécifiques aux réfugiés qui pourraient leur permettre d’être soutenus. Les restitutions ont de ce point de vue mis en avant la nécessité de créer davantage de liens entre les acteurs du sport et ceux de l’accueil et de l’intégration et, pour les fédérations, d’accompagner au maximum leurs membres dans ces démarches.
En conclusion, les participants ont mis en avant le constat suivant : si le sport n’est pas toujours vu comme une priorité pour l’intégration, ni par les personnes réfugiées elles-mêmes ni par les acteurs des politiques publiques de l’intégration, la pratique sportive peut jouer un rôle clef pour répondre à des enjeux jugés plus prioritaires (prévention en santé, insertion professionnelle, apprentissage de la langue…).
Des témoignages du terrain pour illustrer des engagements individuels
Nuray Simsek – lauréate de l’initiative Marianne – et Floride Ndayizede – lauréate de l’Académie pour la participation des réfugiés – ont présenté chacune leur parcours, leur engagement et l’évolution de ces derniers. Ces témoignages poignants ont donné des illustrations des actions menées par ces actrices et le rôle et l’investissement dans la société d’accueil.
Table-ronde sur l’engagement des personnes réfugiées
Animée par Augustin Rogy – Conseiller emploi, innovations & ressources à la Diair – la table-ronde a accueilli sept panélistes d’horizons variés, en lien avec les thèmes des ateliers : Nadia Bellaoui – Présidente de l’Agence du Service Civique, Vincent Catot – Commission Européenne, Zakia Khodadadi – Athlète afghane qui concourra aux Jeux Paralympiques de 2024 sous le drapeau français, Thierry Poulet – Directeur FACE Iliha, Paul Rondin – Directeur de la Cité Internationale de la Langue française, Anna Shcherbakova – Lauréate de l’initiative Marianne et défenseure des droits des personnes LGBTQIA+ et Christian Vannobel – Maire de Sissonne, dans l’Aisne.
Avant que ne débutent les prises de parole, Smaïn Laacher, sociologue, chercheur au Centre d’études des mouvements sociaux (CNRS-EHESS) a évoqué dans un discours introductif le thème du foyer. Le sociologue a rappelé la place essentielle du foyer comme « espace central d’où procède les choses et les événements » et les conséquences de la perte de son foyer.
Les participants ont d’abord été invités à réagir aux travaux thématiques menés dans la matinée et à faire le lien avec les actions et activités qu’ils mènent au quotidien. S’appuyant sur des exemples et des expériences mais aussi sur des réflexions croisées, cette table-ronde a permis de mettre en exergue la richesse plurielle que représentent les engagements des personnes réfugiées pour la société française et les leviers pour porter plus loin ces engagements :
- Faciliter l’engagement des personnes réfugiées, au travers du sport ou de la culture par exemple, participe à écarter les méfiances.
- L’implication de forces motrices comme les entreprises et la société civile est essentielle pour faciliter et catalyser les engagements des personnes réfugiées.
- Il est indispensable de multiplier les espaces d’engagement notamment pour les jeunes: « l’engagement des jeunes est la responsabilité de tous ».
- L’engagement réciproque et les bénéfices pour les acteurs du territoire d’accueil ont été soulignés: « les opérateurs de la culture ont besoin de l’apport des réfugiés ».
Le délégué interministériel Alain Régnier a conclu cette Agora 2023 en indiquant les réflexions menées actuellement par la délégation sur les ressources et les informations mises à disposition des acteurs et des territoires qui œuvrent en faveur de la politique d’intégration. C’est donc sur une note positive, porteuse d’espoir que s’est achevée la journée :
« On peut faire bouger les choses, si le ciel est parfois noir et préoccupant, il y a des exemples qui montrent qu’il ne faut pas baisser les bras, il faut continuer à travailler ensemble.