En octobre 2020, la Diair s’est associée au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et à l’Institut français des relations internationales (Ifri) pour mettre en œuvre l’Académie pour la participation des personnes réfugiées.

Ce sont six femmes et six hommes qui animent, avec leur vivacité d’esprit et leurs idées innovantes, la première promotion 2021 – 2022. Afin de mettre à l’honneur leurs parcours d’engagement, la Diair leur consacre une série de portraits.

Une même destination : deux raisons radicalement différentes

Souzan est l’une des 12 lauréat(e)s de l’Académie et son parcours invite à l’admiration. Ce sont autant d’embûches et de difficultés qu’elle est parvenue à surmonter et qui l’ont amenée en France, où elle a pu reconstruire sa vie, pour devenir une femme diplômée, engagée, et mère d’une petite fille. Aujourd’hui, il ne reste de ce long chemin que quelques débris face à sa résilience.

Passionnée par la langue Française, Souzan étudie au département des lettres françaises à Alep, sa ville natale en Syrie. Elle propose également des cours de soutien scolaire et rédige des notes de révision pour les étudiants. En 2011, c’est dans le cadre d’un stage de recherche en Master 1 qu’elle a pu se familiariser avec la France pour la première fois. Beaucoup d’appréhensions ont marqué son installation à Clermont-Ferrand mais elle se concentre alors sur les démarches à entreprendre, une tâche qui demande toute son attention.

Au même moment, les premières photos de la Syrie déchirée commencent à déferler dans les médias internationaux. Souzan décide alors de rester en France et d’inviter son mari à la rejoindre. Malheureusement, rien ne se passe comme elle l’avait escompté : son mari ne peut la rejoindre en France. Elle décide alors de retourner en Syrie.

En 2012, la situation se dégrade rapidement à Alep et l’oblige à quitter le pays. Ce départ marque la fin d’une ère, pour elle comme pour son mari. Une brusque rupture s’impose avec leur “vie d’avant” : les études, la famille, les proches, et le pays qu’ils aiment. Le couple fuit vers Istanbul, Turquie en 2013 où il réside pendant un an avant d’obtenir un visa français en juillet 2014.

«J’ai ressenti un grand soulagement quand je me suis enfin trouvée dans l’avion, aux côtés de mon mari, pour une installation en France, cette fois-ci définitive. Plus de séparation. Plus de rupture».

A son arrivée en France, Souzan se perfectionne seule en langue française, lisant avidement livres, revues, poèmes, y compris les marges et notes de bas de page! Selon elle, la progression en français ne se fait pas en claquant des doigts. C’est une langue difficile et sophistiquée dont les mots, le vocabulaire, les temps verbaux et la conjugaison nécessitent une pratique perpétuelle.

Un riche parcours d’engagement

Souhaitant se spécialiser dans l’aide linguistique aux migrants, Souzane décide de débuter des études en Didactique des Langues et des Cultures-Français Langue Étrangère et Seconde. Elle effectue des stages, rédige son mémoire, valide son master 2 en 2017, puis se lance dans la vie active et solidaire. Elle s’engage depuis en tant qu’enseignante en FLE-FLI au sein de l’association SAMA (Services Accompagnement Migrants Auvergne) et anime des cours dans le dispositif OEPRE (Ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants).

La jeune femme est animée par de nombreuses causes. À son arrivée en France, c’est le “combat féministe” qui suscite son intérêt; Souzan se dit étonnée de la profondeur qu’a atteint l’enracinement des inégalités qui marquent notre société. Son engagement évolue ensuite vers les enjeux migratoires, un sujet qui lui tient désormais à cœur. Ainsi, elle décide de s’impliquer pour les migrants auprès de grandes associations telles que la Cimade.

«Je sais parfaitement ce que signifie le fait de vouloir dire quelque chose à mon médecin et de ne pas pouvoir le verbaliser. Je me suis engagée avec la Cimade pour essayer de sensibiliser les gens à ces questions. ».

« La terre appartient à tous et l’humain est la plus chère des valeurs »

En 2018 à Clermont-Ferrand, elle participe au projet européen COLab qui a pour but de favoriser l’inclusion des réfugiés dans l’enseignement supérieur. La coordinatrice du projet ainsi qu’une personne de l’équipe de la mairie, informées de l’appel à candidatures pour l’Académie, l’invitent alors à y candidater. Elle s’inscrit sans hésitation. En effet, développer le pouvoir d’agir des personnes réfugiées et travailler pour qu’elles se sentent légitimes lui sont devenus des sujets primordiaux.

« Il faut que les personnes soient à l’aise pour pouvoir contribuer. Mon mari est une personne très cultivée qui peine encore à engager des discussions comme je peux le faire. Il a lu tant de livres, mais il n’arrive pas à faire aboutir son idée comme il le souhaite. Cela me touche et me motive profondément ».

Les réunions de l’Académie sont l’occasion de mutualiser les compétences et de forger de nouvelles idées innovantes tout en apprenant les uns des autres. L’organisation se fait en amont et est entièrement pilotée par les lauréats.

«Il faut créer du rythme pour que les gens n’éteignent pas la caméra. Clotilde (Diair) et Sophie (IFRI) nous impliquent. Les échanges sont très riches. On a des invités à chaque réunion et on doit gérer la durée d’intervention. On tire le maximum de profit qu’on peut. Il y a plein de choses à apprendre »

Au sein de l’équipe de l’Académie, Souzan apprécie la diversité des profils des lauréats venant de différents horizons. Elle regrette ne pas encore avoir eu l’occasion d’approfondir les liens avec ses collègues en raison de l’impossibilité de se réunir physiquement mais compte, en revanche, les connaître davantage en menant des travaux collectifs.

Par ailleurs, intégrer une instance décisionnelle à l’issue de la promotion est un objectif que s’est fixé l’Académie à l’égard de ses lauréats. Souzan, quant à elle, ne semble pas encore décidée de son itinéraire, mais parie sur sa détermination et son envie de réunir instances associatives et institutionnelles autour de causes communes.

«j’ai envie de favoriser le travail en commun. Forums réfugiés est une structure qui m’attire. Au niveau national, la France s’engage est une fondation qui m’intéresse beaucoup, qui est aussi importante. Ça permet de découvrir autre chose »

Enfin, Souzan estime que son plus important engagement est auprès de sa fille Jîne âgée de 6 ans.

«On a choisi le prénom kurde « Jîne » pour notre fille. Il veut dire « la vie » : conçue en Turquie, née en France, elle est mon tout. Je vais essayer de lui donner tout ce dont elle a besoin. C’est une relation réciproque où l’apprentissage se fait à deux sens»

Le message de Souzan à tous les réfugiés en France?

Qu’ils ne se sous-estiment pas et qu’ils gardent l’espoir à tout prix. Elle-même, qui avait peur de prendre la parole devant son jury de Master, multiplie aujourd’hui les interventions à la fac. Quant aux Français, elle les invite à préserver les valeurs de solidarité et la primauté des droits humains qui caractérisent la France.

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