En octobre 2020, la Diair s’est associée au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et à l’Institut français des relations internationales (Ifri) pour mettre en œuvre l’Académie pour la participation des personnes réfugiées.

Ce sont six femmes et six hommes qui animent, avec leur vivacité d’esprit et leurs idées innovantes, la première promotion 2021 – 2022. Afin de mettre à l’honneur leurs parcours d’engagement, la Diair leur consacre une série de portraits.

Elfatih est de ceux qui ont fait un long, très long, parcours. Il arrive en France en juin 2017, après plusieurs mois sur la route au départ du Soudan. A son arrivée, il se retrouve à la rue, campant près de la « Bulle »* de la Chapelle pour espérer obtenir un hébergement. Entouré de personnes qui souhaitent tenter leur chance en Angleterre, Elfatih décide de faire sa demande d’asile en France :

“Je me sentais bien ici, c’était ma place. Je ne connaissais pas du tout la France. J’ai décidé d’y rester parce que j’étais sûr que tout se passerait bien.” 

Un parcours accéléré dans tous les domaines

Au bout de 2 ou 3 semaines, il accède à la « Bulle » pour entamer les démarches administratives. Un hébergement en Cada lui est proposé dans la ville de Belfort. Il accepte, une nouvelle vie s’offre alors à lui. Tout s’enchaîne rapidement : emménagement au Cada, passage à la préfecture, Ofpra. Quatre mois après son arrivée, en octobre 2017, il est reconnu réfugié et signe son contrat d’intégration républicaine deux mois plus tard.

Tout s’enchaîne très vite également en matière d’apprentissage du français. Alors même qu’il n’a nulle part où dormir à la Chapelle, Elfatih accepte l’invitation de bénévoles à participer à des cours de français. A son arrivée à Belfort, il continue à l’aide d’une tablette :

“ J’ai commencé par moi-même, parce que j’avais le temps, pendant 3 / 4 mois, comme le Cada ne proposait pas de cours, j’aimais bien faire ça. Quand je me levais à 8 heures, j’avais des cours de français sur youtube, avec mon cahier… j’ai commencé comme ça.”

Une fois reconnu réfugié, il est dispensé de formation linguistique dans le cadre de l’Ofii, mais cumule plusieurs autres formations. Dès novembre 2018, il passe avec succès le DELF B1.

 

Une proactivité à toute épreuve

Volontaire et déterminé, Elfatih, du haut de ses 25 ans, veut travailler ou suivre une formation. Il faut dire qu’il a déjà plusieurs années d’expérience derrière lui. Cet enfant précoce qui a passé le bac à 16 ans au Soudan y est devenu ingénieur à l’âge de 21 ans, coordonnant rapidement plusieurs lignes de production. Il ne peut donc se satisfaire d’être inactif.

Conseillé par la mission locale, il se rapproche alors du bureau de la jeunesse de la ville et devient bénévole au sein d’une maison de retraite. Sa joie de vivre et son engagement font leur effet sur la responsable de l’animation, qui lui propose alors un volontariat en service civique. Il accepte, met tout son cœur dans l’organisation d’événements et de sorties. Il devient le chouchou d’une résidente. Un vrai lien d’amitié se crée avec ses collègues de la maison de retraite, avec lesquelles il est toujours en contact. Le racisme, Elfatih ne l’a pas ressenti là-bas, ni ailleurs en France :

“ J’ai jamais ressenti qu’il y avait un truc contre moi, jamais. J’entends ça dehors, mais c’est pas dans mon expérience. Tout le monde que j’ai rencontré est sympa.”

Après son volontariat, il travaille de nuit en tant qu’intérimaire pour différentes entreprises. Mais Elfatih souhaite continuer d’apprendre. La journée, quand il ne dort pas pour récupérer de ses nuits travaillées, il apprend le français et s’intéresse aux différents programmes universitaires proposés. Il postule à Paris Dauphine, l’université de Belfort et à Sciences Po Paris pour le diplôme universitaire passerelle. Après avoir passé plusieurs concours sélectifs, il est sélectionné pour le DU de Sciences Po à l’été 2020.

 

Un étudiant altruiste

Il débarque de nouveau à Paris le 1er septembre, cette fois, avec une vraie chambre au Crous et une inscription dans l’une des plus prestigieuses écoles de France.

Malheureusement, le deuxième confinement tombe rapidement comme un couperet. Mais l’éternel optimiste ne se laisse pas abattre. Ce polyglotte prend particulièrement plaisir à suivre un cours enseigné en anglais, « Global History Lab », qui lui permet de se faire des amis. Elfatih adore ses cours et ses profs, même si les premiers mois sont difficiles, en particulier pour acquérir la méthode : dissertation, prise de notes… Heureusement, il peut compter sur des camarades.

“ Un an d’apprentissage à Sciences Po, c’est 10 ans d’apprentissage de toute ma vie. C’est incroyable. Cette année, j’ai lu énormément de livres, je suis allé à la bibliothèque. A chaque fois, je sens que j’apprends quelque chose.”

Malgré la contrainte de ses cours, Elfatih cherche à être actif et utile. Il participe aux activités de l’Union des étudiants exilés (UEE), se propose comme bénévole au sein de l’association JRS. Il applique le même enthousiasme au bénévolat qu’à ses apprentissages : « A chaque fois que j’ai une idée, je cherche ce que je peux faire. Si je veux faire quelque chose, je tente ».

Elfatih découvre l’Académie via LinkedIn. Il est tout de suite intéressé par cette opportunité qui n’est ni un travail, ni un engagement de tous les jours mais qui porte le message de la participation.

« Je cherche des expériences dans ce domaine, ça m’intéresse beaucoup. Jusqu’à maintenant, j’ai été demandeur d’asile, j’ai dormi dans la rue, ça a été hyper compliqué. Ça m’intéresse de porter quelque chose pour la communauté qui vit la même chose ».

Avec candeur, Elfatih se remémore le jour où il a appris qu’il était sélectionné à l’Académie : « j’étais content comme le jour où j’ai été admis à Sciences Po ». C’est la diversité des profils des lauréats qui lui plaît tout particulièrement, ce qu’il n’a pas trouvé à Sciences Po pour l’instant. Elfatih apprécie également la méthodologie de l’Académie : la co-construction, ce qu’il résume ainsi : « Nous, on fait notre Académie ».

Un avenir résolument tourné vers la France

Dans 5 ans, Elfatih se voit avec son bac + 5 français en poche, presque un bac + 10 si on compte ses années d’études au Soudan, et un travail. Plus que ça, Elfatih souhaite être un citoyen à part entière : être naturalisé, porter quelque chose pour la société française.
J’ai été accueilli en France en tant que demandeur d’asile, puis réfugié. Je veux donner, donner mon temps pour la société.

 

Son message aux réfugiés

« Quand je parle avec mes amis, ils me disent que j’aime la France plus que mon pays. Je dis à un réfugié : la France deviendra facilement ton pays. Il faut que tu fasses des efforts. Les gens disent qu’il n’y a pas de travail, de formation. Il y aura toujours des difficultés. Il faudra relever des défis. L’intégration, c’est pas que l’Etat. Tu dois faire des efforts, c’est vraiment un travail d’équipe. »

Son message à la société française

« Les gens comme les réfugiés, ça apporte toujours quelque chose pour les Français, c’est bien pour la société, pour la communauté. Tous les Français ne se rendent pas compte de ça. Certains les voient comme un risque, mais c’est toujours positif. Ils sont motivés, ils veulent faire quelque chose. Ils ont passé des drames dans leur vie, malgré tout ça, ils ont envie d’avancer. Ca c’est positif. »

Elfatih l’optimiste a bien l’intention de porter ses messages haut et fort.

*La Bulle de la Chapelle était un dispositif provisoire d’accueil des personnes en demande d’asile sur Paris. Elle a accueilli plus de 25 000 personnes et enregistré 60 000 passages.

Aller au contenu principal